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La mort d’André Juillard, maître discret de la bande dessinée

A quoi tient l’élégance dans le dessin ? A pas grand-chose : la souplesse d’une courbe pour figurer l’ovale d’un visage ou le galbe d’une jambe, la juste quantité d’encre qu’il faut injecter dans la plume, le léger tremblement de la main qui viendra souligner la dimension charnelle de l’exercice. Souvent présenté comme un maître de la bande dessinée historique, genre qui renvoie aux notions d’aventure et d’épopée, André Juillard était avant tout un virtuose du trait, un illustrateur à la volupté affirmée, dissimulée derrière les aventures de fins bretteurs ou d’agents du contre-espionnage britannique. Le dessinateur est mort, mercredi 31 juillet, à Port-Blanc (Côtes-d’Armor), des suites d’une longue maladie, à l’âge de 76 ans.
Passé par les Arts déco de Paris et l’université libre de Vincennes-Paris VIII, où il avait notamment suivi les cours de Jean-Claude Mézières, le dessinateur de la série Valérian et Laureline, et de Philippe Druillet, le créateur de Lone Sloane, André Juillard a commencé sa carrière au milieu des années 1970 dans la presse jeunesse catholique, notamment les magazines Formule 1 et Djin, alors publiés par l’éditeur Fleurus.
Mais c’est dans la revue communiste Pif Gadget que le jeune Parisien se fait pour la première fois remarquer, avec la création de Masquerouge, en 1980. Scénarisée par Patrick Cothias, la série conte les aventures romanesques de la baronne Ariane de Troïl dans la France du XVIIe siècle. Une héroïne, rareté à l’époque, qui accompagnera le dessinateur tout au long de sa carrière, avec les séries Les Sept Vies de l’Epervier et Plume aux vents.
En quelques années, André Juillard devient une référence de la bande dessinée historique, aux côtés notamment de François Bourgeon, le créateur des Passagers du vent. Son dessin, certes académique mais empreint d’un incroyable dynamisme, forgé en observant les grands maîtres Hans Holbein, François Clouet ou Howard Pyle, fait merveille pour raconter les soubresauts de l’histoire.
Grand fan de rugby et de sport en général, Juillard excelle à restituer l’anatomie en mouvement. Même l’ombrageux Jacques Martin, créateur du personnage d’Alix et référence de la BD réaliste, le remarque et adoube le Breton d’adoption, lui confiant au milieu des années 1980 le dessin d’Arno, une série se déroulant à l’époque napoléonienne.
En 1994, André Juillard surprend d’autant plus lorsqu’il dévoile Le Cahier bleu, un album intimiste dont il assure à la fois le dessin et le scénario, une première. Sorte de chassé-croisé amoureux dans un Paris contemporain, cette histoire d’une grande élégance et sensualité lui vaut, en janvier 1995, le Prix du meilleur album au Festival d’Angoulême. L’année suivante, « le Jean Rochefort de la BD », comme le surnomme le bédéaste Jean-Pierre Gibrat, en référence à son élégance et à son quant-à-soi, reçoit le Grand Prix du même festival, un privilège rare qui place Juillard au panthéon du neuvième art, aux côtés de Morris, Pratt, Moebius, Uderzo, Gotlib, Bilal ou Tardi.
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